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Apprentissage de la pêche à la mouche sèche

  • Photo du rédacteur: Eric BLANCHARD
    Eric BLANCHARD
  • 26 déc. 2017
  • 18 min de lecture

Premières séances sur la Vis (Hérault & Gard)


#1 Bredouille pour commencer

Goniès - Dimanche 23 juillet 2017

(message publié sur le forum des chevaliers de l'archi-sèche)

Je vous avais livré ma première séance de lancers de la mouche en plein hiver par -8° celsius ! Et vous aviez ouvert des quinquets interrogateurs devant tant de témérité ! J'ai donc attendu ensuite le printemps pour peaufiner ma technique de lancer, coup droit, revers à la française sans scier du bois ou du jambon ! Que nenni la technique de lancer à l'italienne ou autre étrangeté pour le débutant que je suis !

Pris par beaucoup de projets et de contraintes professionnelles, ce n'est qu'hier que j'ai pu arpenter une belle rivière authentique avec de vraies farios pure souche ! On va déjà traiter l'épineux problème du résultat : bredouille ! Les rêves de truite de 92 cm du 1er avril emprunté à Struggle se sont évanouis rapidement ! Il faut dire qu'une méchante piqûre de taon dès le départ m'a remis dans le droit chemin de l'humilité et de la petitesse de mon être face à cette Nature faite de roches et de végétation épineuse et dense.

Mais où suis-je ? Dans la vallée de la Vis ! Rivière aux eaux cristallines où se succèdent des rapides qui finissent dans de vastes boulevards d'eau profond de 1 mètre environ ou de vastes fosses verdâtres ou bleutées. Le fond de la rivière est ocre avec peu de végétation et c'est un lit essentiellement minéral que l'on parcourt. 

La truite fario y est d'une vigilance accrue. Le moindre bout de ma casquette orange entre-aperçu suffisait pour les inquiéter et les voir changer de poste. Pas de grosses truites, beaucoup de truitelles de 15-20 cm dont la robe est quasi similaire au fond ! Paraît-il que les grosses truites sont là et se cachent encore mieux calées au fond sans bouger ! 

Pour cette première, j'ai passé presque 10 heures au bord de l'eau sans eau ni nourriture. Et cela ne m'a nullement manqué ! Les chemins de Croix, le jeûne, les incantations et les prières pour que ça mordre sont mon quotidien quand je vais à la pêche, à la mouche de surcroît ! 

Tôt le matin, me voilà donc au bord de l'eau et la première question existentielle s'impose ! Mais quelle mouche choisir ? Je me dis que je vais commencer par appliquer le théorème de Pendragon : mettre une peute ! Alors va pour une peute celle confectionnées par notre bon José le Catalan ! J'en prends une et première difficulté ! Mais c'est quoi ce trou minuscule ? C'est pour y passer un fil d'araignée ou quoi ? Subitement ma vue me fait défaut et j'alterne entre une myopie développée depuis l'âge de 20 ans et une presbytie naissante ! Vraiment casse-couille de se sentir presbyte à ce moment de la journée juste pour passer un malheureux fil de 14/100 dans un simple trou ! Bon à bas le théorème de Pendragon ! Changement de mouche ! Je mets finalement une mouche dont je ne me souviens plus du nom mais l'oeillet de l'hameçon est plus gros ! Yes ça passe et me voilà en configuration de course avec le passage de la théorie à la pratique dans moins de 10 secondes ! 

3, 2, 1, 0 partez ! La soie est envoyée comme dans le champ au printemps mais en faisant gaffe aux branches d'autant que je n'ai pas de Pendraminirafiamachintruc ! Alors je pêche dans le lit de la rivière, plutôt dans l'axe afin de faciliter les choses ! Bon ça marche à peu près ! Et je m'en tiens aux mouvements classiques de base sans variante ! J'effectue quelques lancers avec beaucoup de ratés car le bas de ligne retombe comme une crêpe en spaghetti sur la soie !

Et la réponse à la question de base m'échappe ! Dois-je remonter ou descendre la rivière ? Bon je décide de remonter mais je ne suis pas certain de mon coup. Bon je suis là surtout pour m'entraîner à lancer et moins à pêcher du poisson !

Ce fut ainsi de place de place avec des périodes de marche forcée en bordure de rivière ou dans l'eau dues aux zones privées qui sont légion dans le secteur. Parfois j'avais de l'eau jusqu'au bas des côtes pour pêcher. L'avantage c'est qu'on n'oublie pas de bien lever le bras pour fouetter la soie ! J'ai changé de mouche quelques fois sans trop savoir pourquoi, en choisissant un sedge noir ou une french tricolore par ouïe-dire plus que par conviction profonde ! On était loin la recherche de la mouche exacte ! Mais M'sieur savais pas quoi faire, y'avait pas d'insectes que des araignées d'eau et pour les éclosions on repassera ! Je voyais des mues d'écrevisses mais je n'avais pas de mouches imitation écrevisses, enfin, je crois que ça ne se fait pas ou plus, je ne sais pas !

Au cours de la journée, je me suis bien amélioré avec des lancers plus précis et j'ai enfin compris comment la soie doit se poser et le bas de ligne à la suite. Les posés de mouche étaient délicats, comme un insecte qui se poserait sur l'eau, avec la soie puis le bas de ligne qui retombent bien 1 ou 2 mètres après ! C'est arrivé assez peu souvent le matin, plus l'après-midi mais au moins c'est arrivé et j'étais plutôt content de le voir et le comprendre. Grande première sur un poste, j'ai utilisé le revers un moment, bien obligé, car la végétation était à ma droite (je suis droitier).

J'ai terminé la journée en roue libre quand j'ai commencé à entendre puis à voir de plus en plus de vacanciers ! Entre les nénettes qui se cuisaient sur les galets et les enfants qui jouaient dans l'eau, j'ai compris que je n'étais plus le matin et beaucoup moins en amont que quelques heures avant et j'ai stoppé toute tentative de prise. J'ai profité seulement du spectacle des eaux de la Vis, invitation à la baignade que j'ai prise avant de remonter à la voiture !

Voilà ma première et belle journée de pêche à la mouche ! Pas de truite mais des progrès et surtout une belle et longue ballade !


#2 Nets progrès sur l'Hérault

Ganges - Dimanche 30 juillet 2017

(message publié sur le forum des chevaliers de l'archi-sèche)



La première dans le cadre de la Vis s’était soldée par un zéro pointé avec des truites invisibles ou invincibles et le rapport de force pour le débutant que je suis, était largement en ma défaveur.  Sans compter la Nature hostile qui n’a pas épargné ma peau tant j’en suis ressorti griffé et piqué de partout. Je suis passé voir la marchande d’articles de pêches de Ganges et elle m’a dit « Mais ti es fou, si ti entres dans l’eau de la Vis, ti y es mort et les truites ti les vois plus de la journée tien-gue ! ». Oh pitingue ! Il n’en fallait pas plus pour m’auto-rétrograder en deuxième division ou en Nationale même et malgré la rencontre d’un pêcheur à la mouche (que je salue car je sais qu’il lit le forum) qui m’avait conseillé un coin sympa sur l’Orbe, j’ai remballé ma fierté et suis redevenu le gueux qui sommeille en moi, lourd héritage des générations habituées à la pêche au ver. Heureusement, l’honnêteté a traversé les siècles et il est plus facile de s’avouer les choses face à la réalité qui dit que ma technique de pêche est bien insuffisante pour oser revenir dans le temple du Fly-fishing en France. Alors je me suis résigné à prendre du poisson de seconde zone, du chevesne pour au moins vivre l’instant magique du gobage avec ferrage immédiat. Cela me permettrait d’avancer dans ma quête de devenir un vrai pêcheur à la mouche et d’oublier davantage mes racines de gueux. 

J’ai donc décidé de faire le parcours entre le Pont de Ganges et le barrage de St-Laurent-Le-Minier. La rivière Hérault est large et alterne entre vastes espaces d’eau calme et rapides qui ondulent sur des gros galets avec différents niveaux de profondeur. L’aller-retour fait donc environ 5 ou 6 km de rivière à scruter et tenter différentes mouches mais surtout peaufiner l’apprentissage réel débuté la semaine passée. Arrivé à 9 heures sur les bords de l’eau, c’est déjà assez tard mais je pêche essentiellement le chevesne donc l’horaire importe peu vu que ces bêtes ça grignote toute la journée surtout les petits spécimens.  

J’ouvre ma boîte à mouches et ignore volontairement les peutes aux trous trop petits. Le théorème de Pendragon attendra encore ! Je choisis finalement un sedge chevreuil qui a une bonne gueule, pas trop gros, pas trop petit, une couleur locale beige foncé. On reconnaît là le gueux qui ne s’embarrasse pas de circonvolutions cérébrales avec des analyses de sols préalables et un listing en langue latine de tous les insectes aperçus aux alentours. Au moment de monter ma mouche, je m’aperçois que ma pointe est bien réduite et qu’il va falloir la refaire. Et là le blanc complet pour relier mon bas de ligne avec ma nouvelle pointe en un double noeud. Ca commence bien ! Bon j’ai bien le début mais le nœud ne tient pas alors j’invente un truc pour que ça tienne et ça marche ! Je teste la résistance c’est ok ! Me voilà donc prêt avec mon bas de ligne de 3 mètres environ pointe comprise et mon magnifique sedge au bout. 

Je commence donc à pêcher dans un petit trou d’eau vive. Je vois mal la mouche  car elle coule assez rapidement. Elle reste sur l’eau une quinzaine de secondes puis disparaît. Alors je relance ma mouche en essayant de fouetter deux ou trois fois pour l’essorer et la sécher. Les lancers sont courts mais je m’accroche de temps à autre dans les saules qui bordent le cours d’eau. 

Bingo ! Au bout de quinze minutes, un chevesne attrape la mouche et c’est fantastique car je le vois la gober. Le morceau se débat ! Enfin le morceau… 15 cm ! Je le décroche et le remet à l’eau ! D’autres suivront dans la journée, toujours de la même taille alors que je remonte la rivière !  

Tout se passe bien jusqu’au moment où je glisse sur un gros rocher. Le pied gauche dérape, je tente de me rééquilibrer avec le pied droit qui dérape aussi et me voilà avec de l’eau jusqu’au cou ! Oui au cou car les couilles elles étaient depuis longtemps déjà immergées ! Quel style ! Loin de celui d’un chevalier de l’Arsisèche stoïque et plein de maîtrise ! Le gadin aquatique était si violent que me voilà avec un bel œuf de pigeon sur le tibia ! Heureusement la canne n’a rien et c’est ruisselant que je continue mon épopée. Heureusement le soleil se lève et sèche vite mon polo. 

Je continue jusqu’au barrage et mes lancers s’améliorent considérablement. Je pêche quelques chevesnes de petites tailles sauf un plus gros de 25 centimètres environ et vois plusieurs fois le poisson monter sur l’appât. Le ferrage est suffisant pour le prendre avec assez peu de ratés malgré l’ardillon écrasé. Les distances atteignent maintenant facilement les 15 mètres et la soie court sur l’eau avant de voir le bas de ligne se déployer à merveille. Certains poser sont parfaits et je commence à comprendre une chose qui m’avait échappé jusque là : la longueur du bas de ligne. Je m’étais toujours demandé pourquoi faire des bas de ligne de 4 ou 5 mètres voire davantage. Eh bien c’est je crois indispensable pour améliorer la discrétion. En effet, certains chevesnes sont tellement farouche que le simple déroulé de la soie sur la surface au-dessus de leur tête suffit à les inquiéter et ils ne mordent plus du tout. Autant changer de coin si on veut surprendre des gros specimens malins comme des singes ! 

Je redescends ensuite la rivière et arrive dans les premiers rapides en me déplaçant au milieu de son lit. J’essaie d’explorer tous les recoins où le poisson peut se trouver. Mes lancers sont maintenant beaucoup plus sûrs et la soie se pose à peu près où je vise. Et là, en fin de journée vers 20 heures, la divine surprise ! La mouche a disparu et je remonte progressivement la soie en tricotant ! Je sens un toc et je ferre ! Le poisson est pris ! Il est plus gros que ceux pris dans la journée ! Et c’est une truite ! La première à la mouche mais un peu comme au toc ou en nymphe car je suis incapable de dire comment était la mouche. Sans doute devait-elle être sous l’eau. C’est une arc-en-ciel de 25 cm environ (pas mesurée) sans doute issu d’un lâcher réalisé 3 semaines plus tôt pour un concours de pêche dont m’a parlé la marchande de Ganges ! Ben oui ce n’est pas une vraie truite de la Vis, une simple triplo, je suis encore en Nationale malgré ce but marqué ! 

Cerise sur le gâteau, sur un rapide plus bas, j’observe une truite qui reste en surface et ne bouge pas dans le courant. Bizarre ! Je réussis à envoyer la mouche un peu en amont et elle vient gober la mouche cette fois-ci en surface. Et je la vois arriver sur la mouche ! Même gabarit que l’autre, un peu plus petite peut-être ! Je lui retire l’hameçon et comprends son attitude étrange. Elle est gênée par un hameçon planté dans la nageoire pectorale ! Je lui retire et la voilà repartie libérée ! 

Je rentre finalement à 22 heures à la nuit tombée et suis content une nouvelle fois de cette longue journée. Mes progrès sont vraiment nets. Je calcule vite fait combien de fois j’ai envoyé ma mouche dans la journée : près de 2000 ! Ca commence à bien rentrer, ça commence à ressembler à de la pêche à la mouche ! 


#3 Première truite sauvage de la Vis pêchée à la mouche

Cirque de Navacelle - Dimanche 13 juillet 2017

(message publié sur le forum des chevaliers de l'archi-sèche)


Dernier volet de la trilogie sur mon apprentissage à la mouche. Voilà 3 semaines, je m’étais essayé au fly-fishing dans la Vis et en étais ressorti griffé de partout, en plus bredouille, avec 2 « l » comme Ricouille ! Il y a 15 jours, j’avais ravalé ma fierté et était redescendu sur l’Hérault, plus vaste et plus facile à pêcher, grâce aux petits chevesnes et aux quelques truites de pisciculture. J’avais bien progressé au niveau de ma technique de lancer et avais réussi à pêcher 2 truites, issues d’un lâcher de concours de pêche en juin. C’est dire l’exploit… mais au moins, pendant cette journée, j’avais pu voir comment les poissons gobent et se font attraper avec une mouche. En restant dans la vallée de la Vis, j’aurai pu attendre  longtemps avant de le comprendre. 

Hier dimanche, j’ai profité d’un déplacement professionnel judicieusement négocié le week-end du 15 août pour m’octroyer une 3ème session de pêche à la mouche en essayant d’améliorer tous les points qui n’allaient pas, sans prétendre atteindre la perfection. Afin de m’éviter un nouveau gadin dans l’eau jusqu’au cou, j’ai opté pour de vraies chaussures de rando. J’ai réfléchi à l’opportunité de prendre des waders mais être au ¾ dans une combi toute la journée par 30°, non merci ! J’ai aussi décidé d’alléger mon sac de transport et me suis limité à une sélection de mouches au pifomètre ou presque, une paire de ciseau, mes bobines de fils favorites, des lunettes polarisantes de qualité, une nouvelle pince fine pour retirer les hameçons plus facilement qu’avec un dégorgeoir. Je me dois maintenant de vous avouer ma mésaventure avec cet ustensile peu pratique. Lors de la deuxième session de pêche, il m’avait été impossible de retirer à un petit chevesne, l’hameçon, sans ardillon pourtant, descendu jusque dans sa trachée. J’avais dû me résigner à couper le fil le plus court possible et le laisser partir ainsi, pas fier de ce résultat.  Passons ! Me voilà fin prêt à partir à la pêche à la mouche, sans waders, sans veston couvert de mouches et autres accessoires non plus, qui m’auraient fait ressembler à un poilu médaillé de la guerre de 14, un 11 novembre ! Autre originalité, j’abandonne l’idée de transporter une épuisette. A quoi bon prendre un tel ustensile en no-kill ? 


Quel choix de destination pour cette 3ème session ? Ma fierté de gueux a repris le dessus et j’ai décidé de retourner pêcher dans la Vis, sous les conseils de Chevalier Trankill, du côté de Madières et de Navacelle. L’apprentissage des deux premières sessions m’avait montré la nécessité de bien définir son bas de ligne en fonction de la rivière pêchée. J’ai donc passé un peu de temps à calculer un bas de ligne pour la Vis, plutôt fin et long pour jouer sur la discrétion. Je suis parti sur un cinq brins progressif, de 35/100 à 12 /100 pour finir avec une pointe de 10/100, le tout faisant environ 4,5 mètres. 

Dimanche matin 7:30, me voilà au bord de la rivière au-dessus de la centrale hydro-électrique de Madières et la phase d’observation commence. Je rentre ensuite dans l’eau, téméraire tentative dans la Vis qui avoisine les 14°. Le « Ice Bucket Challenge » qui veut qu’on vous verse un seau d’eau sur la tête par surprise, n’est rien à côté de cette immersion glacée de bon matin. Je choisis un joli courant  pour débuter. J’applique le théorème de Pendragon, avec une magnifique peute blanche à tête jaune. Premier lancer ! La soie se pose puis le bas de ligne, pause café…. et enfin la mouche arrive une seconde après ! C’est quoi ce poser de m… ? Plutôt étonnant comme résultat à côté de mon ancien bas de ligne ! J’envoie la soie trois ou quatre fois et bing, problème : la mouche s’accroche dans un petit frêne qui a eu l’audace de pousser sur un rocher surplombant la rivière ! Je tiens à ma peute et me voilà donc à l’escalade au risque de tomber de 3 mètres dans l’eau qui tourbillonne en-dessous ! J’arrive enfin à atteindre l’arbre. Le fil est tout emmêlé et m’oblige à couper des branches qui tombent dans l’eau ! Marche arrière, retour sur la rive puis reprise de ma canne. Et rebellote, la pêche à la mouche reprend ! Le début n’est pas terrible, c’est plein d’arbres, je m’accroche de partout et je n’ai pas de pendramirafiat-trucmuche. Bilan de la première bataille : 4 mouches perdues au combat en moins d’une heure de pêche ! 

Entre-temps, j’ai pris le soin de corriger la tronche de mon bas de ligne de dandy. Vas-y que je te coupe et te raccourcis les brins après maintes calculs et estimations de tête. Nouvel essai ! Ô miracle ! Le déploiement de la soie et du bas de ligne sur l’eau est impeccable, la mouche se pose discrètement en plus. Comme quoi les calculs théoriques de bas de ligne hein ? Je m’entraîne sur une fosse longue et large, lassé de mes arrêts répétés pour décrocher mon appât dans les arbres. Tout se passe bien quand soudain, j’entends un énorme gobage derrière moi. Par chez nous les gueux, on dit que la truite a mouché. On rajoute parfois aussi « Nom de Diou ! » mais j’ai perdu cette habitude ancestrale ! Je regarde et vois le reste de l’onde laissée par le poisson. Je pivote sur moi-même lentement et lance donc ma mouche dans cette zone.  Une fois, deux fois, trois fois, la mouche a encore disparu sous l’eau. Je me dis alors : « Archisèche, mon cul oui ! ». C’est un sedge qui flotte cinq secondes puis sombre à jamais sous l’eau ! Mais le poisson le prend et commence à tirer !  Je ferre ! Pitingue le morceau ! Je vois le fil qui zigzague dans l’eau et paf ! Cassé ! La rivière me retourne mon bas de ligne sans mouche ! Je ne deviendrai pas encore Chevalier aujourd’hui et ma condition de gueux va perdurer. Je vais encore me faire allumer par Chevalier Moulin Rouge ! Oh non c’est la misère, une si grosse truite, digne des rêves de Struggle ! Bon allez, on ne va pas se laisser aller pour si peu, on va repartir et remettre son ouvrage sur le métier. Je refais un nouveau bas de ligne plus solide avec une pointe en 14/100. Cela évitera de laisser un nouvel hameçon dans la gueule d’un autre poisson pour rien. Tant pis si le fil se voit plus ! 

J’ai changé de lieu et je pêche dans une partie de rivière plus large. Je l’ai rejointe en suivant le bord de l’eau mais aussi à travers des feuillages denses, en escaladant des rochers, en dérangeant un énorme serpent qui s’est enfui dans un glissement furtif avant mon passage, une belle couleuvre brune aux reflets métalliques. Je repère là une truite qui fait des va-et-vient réguliers entre 2 postes, une petite truite zébrée qui se propulse avec de frénétiques coups de queues caractéristiques. J’envoie ma mouche dans la coulée qui suit le bord lentement et passe dans sa zone de poste. Après un lancer raté, j’accroche ma mouche dans un figuier lascif dont les lourdes branches trempent presque dans l’eau. Je me dis que ce n’est pas grave, au vu de la profondeur, 40 cm, tout au plus, ne vont pas m’empêcher de récupérer mon bien, sans penser que l’effet d’optique pouvait être aussi trompeur ! J’avance donc vers ma mouche, confiant : un mètre d’eau, puis 1,20 et ça continue jusque 1,50 mètre. Ca n’en finit pas de descendre et me voilà avec la cage thoracique immergée pour décrocher ma mouche ! Nouvel Ice Bucket Challenge de la journée. J’en ressors tout trempé avec l’obligation de retirer mon gilet pour le faire sécher. Je quitte les lieux pour essayer d’avancer mais c’est impossible ! La végétation est trop épineuse  et serrée. Je suis fatigué de faire si peu de pêche pour autant d’efforts ! Je me dis que je devrais redescendre dans le lit de l’Hérault plus facile afin de profiter plutôt que de lutter contre tout : les truites, l’environnement, la chaleur et ma technique de pêche. Alors je fais une pause pour me sécher au soleil et réfléchir sur un gros rocher creusé par le courant, entouré d’une eau cristalline vert pâle presque émeraude. L’endroit est magnifique et le spectacle aquatique attirant. Je vois le fond couvert de gravier grossier qui plonge jusqu’à 4 ou 5 mètres de profondeur sous le bloc de pierre. Une truite passe en surface à la manière d’un chevesne sans me voir puis disparaît à jamais. 

Il est midi passé depuis longtemps et la faim me tiraille. Alors plutôt que de verser dans la facilité en redescendant dans l’Hérault, je décide de remonter en voiture jusque Navacelle pour y pêcher l’après-midi. En chemin, j’essaie de comprendre les raisons de mes échecs répétés et comprends finalement que les truites planquées au fond de l’eau ne cherchent pas de nourriture à gober en journée et que je n’ai donc quasiment aucune chance d’en prendre. Finalement, la seule prise faite, même si elle a cassé ma ligne, c’est dans une eau peu profonde avec un repaire pour le poisson fait de racines d’arbre ou d’une grosse pierre. Il me faut retrouver ce type de poste. L’idée de retourner à l’Hérault me repasse par l’esprit mais je décide le challenge à la facilité ! Définitivement ! 

J’arrive à Navacelle et les difficultés continuent ! Une myriade de touristes en short ou maillot de bain déambule dans le village et alentours. Un vrai malheur pour moi qui aime l’authenticité et le calme ! Le lieu est pittoresque, par sa géographie surtout et son habitat typique en pierre calcaire noircie. La Sainte Vierge veille sur nos âmes depuis le haut du village. Le soleil de plomb sur elle ! Je m’installe finalement dans un restaurant et y avale rapidement un repas simple. Je parcours ensuite le site pour m’apercevoir qu’il y a une cassure de plusieurs dizaines de mètres sur le lit de la Vis qui s’enfuie vers l’aval en de multiples cascades. Dilemme, quoi faire ? Partir en aval ou en amont ? Bon je pars en amont pour m’éviter une escalade difficile au retour avec ma canne à pêche ! Je retourne à la voiture et me prépare pour ma deuxième partie de pêche, pratiquement aux sources de la Vis. L’idée de partir vers l’amont c’est aller aussi dans le sens de ma réflexion, pour  trouver des  truites dans peu d’eau plutôt que voir encore se succéder les courants rapides et les vastes fosses où il est quasiment impossible de prendre du poisson en pleine journée, à moins de pêcher au fond. Inutile de persister sur ces zones sous le soleil. Il faut l’assimiler et changer de méthodes à la différence des mouches (les vraies) qui s’obstinent à passer à travers une vitre jusqu’à l’épuisement ! 

Mon souhait c’est aussi de parcourir une rivière plus facile en suivant les bords, sans avoir besoin de retomber dans les scénarios du matin avec escalades, fosses profondes et végétation dense. Me voilà donc reparti à l’assaut de mon espoir : pêcher une truite sauvage de la Vis à la mouche ! 

La rivière est plus petite et la végétation la recouvre entièrement protégeant les poissons du soleil en pleine journée. Les lancers ne vont pas être simples. Je fais quelques essais dans un premier endroit mais ma technique d’approche ne me convient pas car je suis obligé de rentrer dans l’eau qui peut être profonde parfois, à ma grande surprise, si bien que les truites se sauvent et ne bougent plus ! Pitingue c’est dur ! D’autant que les accrochages dans les arbres continuent. Je fais davantage attention pour limiter ces problèmes mais à la moindre inattention, c’est reparti. Me voilà donc obligé de refaire la girafe ici et là ! C’est usant d’autant qu’après le décrochage s’en suit généralement un patient démêlage du bas de ligne ! J’en ai un peu assez de cette pêche saccadée avec un problème toutes les cinq minutes. Finalement, je prends une nouvelle décision : rechercher un coin propice pour la truite, avec suffisamment de dégagement pour lancer ma soie, en dépit du feuillage des arbres qui m’enveloppe complétement. Me voilà donc à la marche dans le lit de la rivière ou sur les galets du bord avec des pauses ici ou là pour pêcher quand les conditions définies sont réunies. Et ça va mieux ! 

Je trouve justement un coin sympathique, vaste tunnel ombragé qui s’étend sur 50 mètres avec des postes à truites potentiels que je vais inspecter. Premier essai, dans une coulée. Je m’approche à pas de loup dans l’eau et commence à pêcher. Les lancers sont corrects, pas d’accroc et la mouche flotte bien, je peux la suivre, elle ne coule pas mais pas de gobage ! Je change d’endroit et pêche plus haut juste après un large torrent qui se jette dans une petite cuvette avec des remous. J’envoie ma mouche, une fois, rien ! Deux fois, trois fois, rien ! La quatrième sera la bonne ! A peine la mouche posée, une truite saute violement sur le sedge. Je ferre et c’est pris ! Ce n’est pas gros mais il faut faire attention au décrochage  avec un hameçon sans ardillon ! La voilà qui part dans tous les sens. Le combat est terrible… euh en fait non vous imaginez bien ! Je tire doucement sur la soie pour la ramener vers moi avec précaution puis je rembobine ! Enfin la voilà dans sa robe vert foncé, aux flancs dorés, avec la mouche sur le coin de la gueule ! Je la saisis doucement en la laissant immergée autant que possible puis lui retire l’hameçon, une photo et hop, elle est libérée. Elle repart vers le torrent. 

Enfin ! Une première truite dans la Vis ! Les efforts n’auront pas été vains. Je continue le parcours de la rivière pendant quelques heures encore en explorant des postes similaires. Je continue à m’accrocher de temps à autre et la fatigue me gagne. Je décide de stopper. Il est 19 heures passées !  

Me voilà sur le chemin du retour avec la satisfaction, humble toute de même, de l’objectif accompli et une technique de pêche à la mouche qui se consolide. Je serai mieux armé la prochaine fois et il faudra encore améliorer certains détails. 

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Depuis tout petit, je vais à la pêche. J'ai commencé à 6 ans en 1971 avec un fil de laine accroché à une canne en noisetier faite de mes mains.

 

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