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Moselle sauvage, temple des ombres

  • Photo du rédacteur: Eric BLANCHARD
    Eric BLANCHARD
  • 26 déc. 2017
  • 18 min de lecture

Expédition de 2 jours sur la Moselle sauvage à la recherche de l'ombre commun.

(Récit imaginé)

Technique de pêche : mouche sèche





#1 REVEIL AU BORD DE L’EAU PAR UN MATIN D’AUTOMNE

Châtel/Moselle - Dimanche 4 novembre 2007 à 07h00


Le bip-bip régulier du réveil me fit ouvrir un œil puis l’autre et m’extirpa de mon sommeil subitement dans une obscurité quasi complète. Je glissai alors ma main droite le long de mon sac de couchage pour récupérer ma lampe frontale et l’allumai après quelques secondes de tâtonnement. J’ouvris ensuite la fermeture éclair de la tente et laissai entrer une bouffée d’air glacial qui me réveilla. Dehors, le jour se levait peu à peu avec une lueur blafarde qui perçait à travers la brume. La prairie qui entourait la tente, était couverte de gelée blanche. Dans la pénombre, mon canoë était toujours sur la berge fixé solidement à un pieux. Le feu de la veille laissait encore apparaître quelques points de braises incandescentes et terminait de consumer le squelette d’une des truites sauvages consommées la veille. Le sommeil fut léger toute la nuit, perturbé par le froid plusieurs fois et les gromellements des sangliers attirés par l’odeur du poisson.


J’enfilai ma polaire, fouillai dans mon sac pour en sortir un nouveau pantalon bien sec et m’habiller rapidement. Je saisis mes chaussures de pêche que le feu n’avait pas complément séchées et grimaçait quand l’humidité imbiba le tissu de mes chaussettes. Je me mis debout puis m’étirai et fis deux ou trois assouplissements rapides. Une simple inhalation profonde d’air me donna l’impression de remplir mes poumons outre mesure. Je me frottai les yeux et observai ce spectacle unique de la Nature qui s’éveillait, lentement mais irrémédiablement dans ce décor automnal. La rivière roucoulait à quelques dizaines de mètres et laissait imaginer les remous de surface qui se formaient sur ses courants. De hauts frênes découpaient dans le ciel bleu profond leur silhouette élancée. On distinguait le lit du fleuve qui parcourait la plaine dans de longs et tranquilles méandres entrecoupés d’îlots de graviers couverts de saules envahissants.


Je ramassai le bois entreposé la veille pour le feu et le déposai progressivement sur les braises en soufflant de longs flux d’air constants. Une flammèche apparut puis deux puis le miracle de la combustion reprit inexorablement. Le feu atteignit en quelques minutes une quarantaine de centimètres de haut et je pus y jeter le restant du bois. Je m’accroupis, approchai mes mains et me réchauffai progressivement tout le corps. Le ciel à l’horizon était devenu plus orangé. Un premier rayon transperça la plaine et vint inonder mon visage d’une lumière bienfaitrice. Le bois se consumait vite. Je versai alors une ration d’eau dans une petite casserole posée à même les braises. Je pliai ensuite furtivement ma tente et préparai mon paquetage que j’entreposai dans le canoë, solide gaillard de cinq mètres de long. Il m’avait emmené depuis tant d’années, sur tant de cours d’eau sans jamais défaillir même dans des rapides de rivières de montagnes, absorbant tous les chocs contre des rochers qui s’amusaient à vouloir nous retourner.


L’eau se mit à bouillir rapidement et j’y déposai une poignée d’un mélange de thym et romarin, ramené de mes randonnées au bord de la Vis, près du cirque de Navacelle aux confins du Gard et de l’Hérault, l’été dernier. Le liquide s’imprégna peu à peu de l’essence des plantes. Je le versai après quelques minutes dans une timbale en fer blanc sur du miel de montagne et y posai mes mains pour me réchauffer davantage. J’avalai ensuite par petites gorgées la divine boisson dans un mélange d’odeur de bois brûlé et d’essences aromatiques. Le soleil m’éblouissait maintenant et dévoilait la plaine entièrement blanche, couverte de gelée, coupée en deux sections distinctes par la rivière, futur affluent du Rhin, la Moselle sauvage.


#2 CHOIX D’UN SPOT DE PECHE D’EXCEPTION

Nancy - vendredi 29 septembre 2007 à 15h34


Je profitai d’un traitement informatique à mon bureau de plusieurs minutes sur une base de données pour réduire la fenêtre de l’application et ouvrir mon carnet d’adresses sur une icône du dock. Je saisis dans la zone de recherche le nom que m’avait communiqué début septembre la dame qui travaillait à la fédération de pêche des Vosges : R O L A N D puis tapai sur « Enter » pour valider. En un dizième de seconde, le logiciel me présenta la fiche de Bernard ROLAND, garde de pêche, avec son numéro de portable. Je posai mon micro-casque sur la tête et cliquai sur le numéro de téléphone. La tonalité s’établit et le modem numérota puis laissa place à plusieurs sonneries avant d’entendre enfin une personne décrocher.


- Allo ? répondit l’interlocuteur.

- M. ROLAND ?

- Oui, c’est moi ! continua-t-il d’une voix assez grave.

- Bonjour c’est Patrick FRESSON ! Je vous avais appelé la semaine dernière au sujet de mon intention de venir pêcher l’ombre dans les Vosges. Vous étiez occupé.

- Ah oui je me souviens. Vous souhaitiez connaître des coins possibles pour pêcher à la mouche. Il fait frais et les eaux sont basses vous savez ! C’est pas terrible pour la pêche, le poisson ne bouge pas beaucoup ! Et de toute façon c’est en première catégorie donc fermé maintenant, me précise-t-il.

- Ce n'est pas grave ! C’est pour une sortie pendant deux jours en canoë les 3 et 4 novembre prochains ! Vous me conseillez d’aller où alors ? lui dis-je.

- Le mieux serait de faire la Moselle sauvage du côté de Nomexy ou Châtel/Moselle ! Il y a de l’ombre là-bas et ça pêche mieux même en amont jusqu’à Epinal, me précise-t-il, l’air plus joyeux d’annoncer de bonnes nouvelles.

- Bon ok, je vais aller à Châtel que j’ai vu sur la carte. Ca semble pas mal avec beaucoup de méandres et d’îlots pour pêcher.

- Oui c’est vraiment très bien et la rivière est sympa si vous êtes en canoë, me confirma-t-il

- Entendu, je vais m’organiser pour cela. Merci.

- Pas de quoi ! Au revoir !

- Au revoir M. ROLAND.


Je cliquai sur le bouton « Raccrocher » affiché sur mon écran d’ordinateur. La communication se coupa net. Je regardai encore une fois la photo satellite de Google Maps et me pris à rêver quelques secondes en regardant par la baie vitrée de mon bureau le grand parc gazonné et arboré du technopôle de Nancy.


Soudain, un bref et désagréable son de canard me sortit de mes pensées ! C’était l’ordinateur qui m’informait que le traitement informatique était terminé. Je validai et repris mon travail mais je savais maintenant que ma prochaine destination serait la Moselle sauvage, temple des ombres en Lorraine. Et tant pis s’il ferait froid, il me fallait absolument découvrir ce nouveau spot de pêche.


#3 DESCENTE DE LA MOSELLE SAUVAGE

Epinal – Samedi 3 novembre 2007 à 10h15


Mon épouse venait de me déposer à Epinal, à la sortie de la ville, au bord de la Moselle, assez large déjà à ce niveau. Cela tranchait avec le cours d’eau que je connaissais un peu, bien en amont du côté de Fresse/Moselle et Saint-Maurice, classé en première catégorie. On y pêchait de belles truites sauvages dans une eau de qualité qui déboulait des montagnes vosgiennes, à Bussang, où elle prenait sa source.


Le canoë se tenait fièrement au bord de l’eau avec son paquetage complet de nourriture et nécessaire d’équipements pour 2 jours de navigation. J’embarquai mon unique canne à mouche et le matériel pour toutes les conditions de pêche possible à cette époque de l’année. Dernière vérification, dernier check-up complet. Tout était prêt.


Je regardai la voiture avec la remorque vide. Ma femme m’observait et attendait mon signe de la main qui lui signifierait que j’étais disposé à m’élancer. Nous avions convenu de me récupérer le lendemain près de Charmes, 30 km en aval, à un endroit précis que je devais lui préciser par téléphone dimanche en fin d’après-midi en fonction de ma situation terrain.

Je levai la main et la voiture démarra alors doucement puis disparut. Je me retrouvai alors seul face à cette rivière. Je pus voir une dernière fois les hautes constructions de la ville d’Epinal. Je savais que, dans peu de temps, tout cela disparaitrait et que mon parcours serait plongé dans une nature intégrale, quoique entrecoupé par la traversée régulières d’agglomérations.


Il y a toujours eu en moi une forme d’inquiétude à partir seul sur l’eau et je prenais ces initiatives régulières de navigation comme une sorte de défi lancée à moi-même. J’avais pris tout de même mes dispositions avec tout le nécessaire de sécurité et des renseignements précis collectés la veille. Aucune crue n’était à prévoir avec un temps sec pour tout le week-end. Seul le froid risquait de me gêner, d’autant que, volontairement, je n’emportai pas mes waders et avait prévu donc de pêcher de la berge le plus souvent jusqu’à mi-cuisse si mon courage me le permettrait.


Je vérifiai une dernière fois mon paquetage solidement accroché au centre du canoë et me plaçai ensuite sur le siège arrière. Je poussai avec ma pagaie sur le fond pierreux et fut vite lancé puis avalé par le courant régulier d’une Moselle tranquille aux reflets marrons.

Les coups de pagaie alternaient à droite et à gauche en fonction du courant. J’arrivai rapidement sur une île qui divisait le cours d’eau en deux parties dont une était faite d’un étroit passage que j’empruntais. Le soleil était au beau fixe mais l’air était glacial. La rivière ondulait et brillait. Le canoë traçait un sillage et je laissai derrière moi une onde évanescente en forme de vé pointu. Je poursuivais ma route et passai sous l’autoroute emprunté pour arriver au point de départ. Impossible de faire 30 minutes de canoë sans déjà voir un signe de civilisation. Je me promettais d’aller un jour sur la presqu’île du Kamchatka, pour y rechercher la quiétude, voir les ours bruns et y pêcher le saumon sans le brouhaha des voitures lancées à pleine vitesse !


Après 20 minutes de navigation, j’entendis le bruit d’une chute d’eau et compris que je m’approchais d’un rapide. Ce genre de passages nécessitaient souvent beaucoup d’attention et il valait mieux descendre du canoë pour éviter tout chavirage surtout en plein automne, dans des eaux glacées. Etant seul, je décidai donc de stopper ma navigation pour franchir cet obstacle naturel avec une corde qui me permit de tenir mon embarcation pendant qu’elle descendait la cascade. Je courais alors sur la berge et la récupérai 30 mètres plus bas sans dommage. Je m’installai à nouveau à l’arrière et reprenais mon lent cheminement vers Châtel/Moselle, objectif d’étape du soir.




#4 PARTIE DE PECHE A LA MOUCHE MEMORABLE

Châtel/Moselle – Dimanche 4 novembre 2007 à 08:30


Le soleil était bien levé maintenant depuis une heure et réchauffait l’air glacé par la nuit. En ce début de dimanche, je me remémorai ma partie de pêche de la veille peu après Epinal en fin de matinée puis celle de l’après-midi proche du lieu-dit du Vieux-Moulin bien en aval, à 15 km au moins de mon point de départ.


J’avais observé quelques radiers peu profonds, en avais profité pour stopper mon canoë et pêcher deux bonnes heures. La séance que je vécus, fut mémorable.


Une longue observation de la rivière me permit de comprendre les courants et les postes où, potentiellement, pouvaient se tenir les ombres communs des Vosges qui peuplaient ces eaux pures. Pêcheur de carnassiers depuis tout jeune, j’étais habitué au brochet, pêché régulièrement en lacs ou en rivières à la cuillère ou au vif. La découverte récente sur des vidéos postées sur l’Internet de la majesté du sandre, véritable chevalier de la rivière avec sa nageoire dorsale déployée, immobile presque pétrifié, m’avait émerveillé et intrigué. Il devint un centre d’intérêt et mes objectifs de pêche n’étaient plus vraiment le brochet mais cette beauté racée, plus difficile à tromper, plus fine aussi à pêcher. Mes techniques évoluèrent avec le temps. L’avènement des leurres efficaces correctement animés me permit de prendre la décision de laisser le vivant en paix et de ne plus pêcher au vif par exemple ou d’en tuer un pour attirer un poisson. Peu m’importait de réduire mes chances de prises, l’essentiel était d’être dans des décors naturels époustouflants et de poursuivre l’émerveillement que j’avais quand je courais, tout jeune, dans la campagne des samedis après-midi entiers avec mon chien. Je vins donc naturellement à la pêche à la mouche pour la beauté de cette pratique qui répondait parfaitement à cette philosophie de leurrer un poisson pour l’attraper et non plus l’appâter comme je le fis pendant des années. Je me retrouvais donc à m’intéresser, à mes heures perdues, à la manière de pêcher une truite avec une mouche. Vaste programme, vaste domaine que j’entrepris de connaître progressivement. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre que cette technique de pêche permettait de prendre un autre poisson vu, jusqu’alors, que sur des livres encyclopédiques : l’ombre commun. L’analogie fut frappante avec la pêche aux leurres. Ce que la truite était au brochet, l’ombre commun l’était au sandre. Même nageoire dorsale impressionnante, autre voilier des rivières aux teintes pourpres, robe pigmentée de points noirs, queue fine comme les perches. Une splendeur de la nature avec sa petite gueule de poisson difficile presque maniéré et ses yeux toujours aux aguets. Magnifique découverte. Heureuse surprise aussi d’apprendre qu’à moins d’une heure de mon domicile, cette espèce peuplait des rivières surtout réputées dans mon esprit pour la truite. Je comprenais pourquoi je me trouvais là, en ce début du mois de novembre, malgré le froid, avec mon canoë sur cette rivière splendide en quête de pêcher ce qui représentait à mes yeux désormais, le nec plus ultra du poisson de rivière. L’eau glacée qui entourait mes mollets, propulsée par un fort courant, n’y pourrait rien. Ma détermination serait totale pendant ces jours pour tenter d’attraper ce poisson à la mouche, même avec ma technique de novice en la matière.


Je décidai donc de monter un cul de canard sur un bas de ligne progressif au bout de mon Orvis T3 que j’aimais de plus en plus, tant elle répondait à mon style de lancer. Les tentatives appuyées de pêche dans les rapides ne donnèrent rien. Alors je continuai ma progression dans le sens de la rivière pour arriver, avec de l’eau jusqu’à mi-cuisses, sur une vaste fosse oxygénée par un courant issu d’une veine d’eau qui se déversait en entonnoir. Un, deux puis trois gros gobages me signalèrent la présence de gros poissons. Je décidai alors de pêcher à cet endroit.


Avec douze bons mètres de soie, j’envoyai mon leurre de trois quart dans le courant. Première coulée, première touche. Ferrage et premier spécimen qui se débattit au bout de ma ligne avec une force inouïe. J’avais pris la sécurité de monter un bas de ligne assez gros et tentai de fatiguer le poisson en l’empêchant de prendre trop de soie. Je parvins à l’amener en surface et aperçut son reflet doré. Mais il replongea rapidement. Je rembobinai alors doucement ma soie et continuai de maintenir ma canne avec souplesse pour éviter au poisson de casser ma ligne.


Cinq minutes de combat intenses finirent par épuiser la truite que je vis apparaître de tout son long à la surface. Je l’attrapai par la gueule et la sortit de l’eau. Elle pesait facilement une bonne livre, était pigmentée de points rouges sur une robe couleur bronze avec de grosses zébrures plus foncées sur la queue et les flancs. Le poisson était magnifique et mesurait 36 cm. Je décidai de le prélever pour mon repas du soir. De retour au canoë, je l’entreposai dans un panier d’osier que je laissai immergé dans l’eau. Puis je retournai avec ma canne pour pêcher au même endroit en essayant d’éviter les remous. Le froid me pétrifiait les jambes qui semblaient faites de bois.



Toujours avec un cul de canard, après quelques lancers dans la zone des gobages aperçus à mon arrivée, j’eus une nouvelle touche franche, facilement détectable tant la déformation de la surface de l’eau fut importante. Ferrage immédiat, le poisson se débattit quelques secondes puis se décrocha. Les gobages n’arrêtaient pas et je pouvais maintenant en compter facilement dix par minute. Je repris mes présentations à la sortie du courant, là où j’avais observé des gobages multiples qui faisaient des ronds dans l’eau ponctués par des remous.


J’obtins encore de nouvelles touches avec la prise de trois truitelles que je relâchai rapidement. Puis vint le clou du spectacle avec un énorme gobage aperçus furtivement sous un branchage effeuillé par l’automne, dans une partie calme de la rivière. Je décidai d’employer la technique du lancer revers avec une forte inclinaison pour éviter tout accrochage de ma mouche. Après 3 tentatives, la mouche se posa exactement à l’endroit souhaité mais ne resta pas longtemps à la surface. Un poisson s’en empara et disparut immédiatement avec elle dans un tumulte hydraulique peu commun. Je ferrai et l’individu fut correctement piqué et maintenu solidement au bout de la ligne tendue qui courait en zig-zag dans l’eau.


Alors s’engagea un combat encore plus intense que le premier. Le poisson incrédule et effrayé par cette sensation inconnue, essaya de s’extirper l’hameçon de la gueule en sautant plusieurs fois hors de l’eau. Ce fut ainsi que je pus identifier encore une nouvelle truite fario comme la première mais plus grosse. J’essayai de me concentrer pour éviter de casser la ligne par un mouvement brusque non contrôlé. Finalement le poisson se fatigua plus vite que le premier et je pus ramener vers moi cette truite large de presque 2 livres et 43 cm. Là encore, je décidai de réserver cette prise à mon dîner qui n’allait pas tarder.


Mon souvenir de la veille s’interrompit subitement par un homme qui avançait à pas lents à quelques mètres de moi. C’était un chasseur avec son chien. Je le saluai et échangeai quelques mots avec lui. Il traquait, sans grande conviction, le canard sauvage, abondant gibier, dans ces zones très humides où la Moselle serpente au milieu de gravières établies par l’homme. Lui était là aussi pour la ballade, pour apprécier ce décor, l’aurore d’un matin d’automne, cette gelée qui couvrait la campagne d’une fine mousseline blanche. Peu lui importait le gibier, il était plus dans cette posture du chasseur par instinct, un peu comme moi avec mon canoë et ma canne mais le plaisir essentiel, indispensable, c’était de communier avec la nature et d’apprécier la beauté qu’elle nous offrait. Le chasseur me quitta, embarquant derrière lui son épagneul qui courait dans tous les sens en quête d’une odeur de gibier.


Je repris le souvenir de ces deux truites prélevées de leur milieu la veille pour satisfaire mon appétit du soir. Quelle idiotie me dis-je ? Autant acheter sa nourriture en magasin au lieu de pousser l’aventure aussi loin, jusqu’à tuer alors que j’ai toutes les facilités du monde pour me nourrir. Je trouvai mon désir d’aventure complètement anachronique avec mon âge comme si j’avais manqué une étape dans ma vie ou n’était pas rassasié de quelques chose. Celle où jeune, on vit un temps dans l’excès pour s’assagir ensuite, repu des passions qui nous ont attiré. Ce désir de vivre une aventure en canoë, de chercher à me nourrir par moi-même surtout me parut complément inutile maintenant que je l’avais fait plusieurs fois sur plusieurs expéditions. Je pris ce jour là la décision de laisser l’exploit aventurier de côté et de vivre uniquement pour le plaisir de l’instant sans tuer inutilement le vivant pour assouvir une passion dépassée désormais et qui devenait donc une aberration à mes yeux. Cette réflexion se poursuivit plusieurs jours durant après ce fabuleux week-end et je compris le danger d’une décision si drastique qui représentait peut-être un nouvel excès, inverse au premier. Mon expérience me permit alors de trouver un point d’équilibre et m’apporta plus de sérénité quant au prélèvement d’un poisson que je m’autorisai mais de manière raisonnée et justifiée par l’évidence de s’accorder certains plaisirs culinaires.


Je marchai sur la berge et entrai dans la rivière pour y prendre de l’eau dans mes mains et me frottai le visage vigoureusement. Je massai ma nuque et avec la fraîcheur vivifiante, mon réveil devint complet. J’étais prêt pour une nouvelle journée ensoleillée bercé par le courant. Je pouvais reprendre mon périple tous les sens en éveil. Je me dirigeai alors vers mon canoë et repris, en ce début de dimanche, ma descente de la Moselle à un rythme tranquille sur une eau calme et peu profonde, dans un lit minéral couvert de gros galets de couleur beige.


#5 SA MAJESTE L’OMBRE COMMUN (CHEVALIER DES VOSGES)

Châtel/Moselle – Dimanche 4 novembre 2007 à 10 :30


Je pagayais depuis presque 2 heures sans discontinuer. Le paysage défilait mollement sur ma droite et ma gauche. La gelée dans les champs disparaissait peu à peu, chauffée par un soleil qui peinait à monter dans le ciel en cette fin de saison. Le ciel était bleu et donnait à la rivière des couleurs homogènes de terre et d’argile que les arbres avaient aussi adopté.

Des petits îlots de graviers fins étaient parsemés ici et là au gré des courants et des méandres, construits au rythme des crues de début de printemps quand la Moselle se gonfle par les pluies diluviennes et la fonte des neiges du massif vosgien. Ils représentaient l’endroit idéal pour pêcher car la rivière y prenait toute sorte de configurations. On y trouvait des fosses profondes creusées par le courant au fil du temps avec une berge haute qui s’effritait un peu plus chaque année. Parfois c’était des radiers peu profonds qui couraient sur des galets avant de se jeter dans des eaux plus calmes.


Je mis mon canoë en lieu sûr sur une berge sablonneuse, maintenu par une corde à un bouquet de saules aux reflets argentés sous le soleil. Je pris et montai alors ma canne à pêche avec un bas de ligne identique à celui de la veille, terminé par un cul de canard.

Rien ne m’indiquait la présence de poisson. Point de gobage, la rivière semblait vierge de toute vie aquatique. Pas même la silhouette d’une truite qui file se cacher après m’avoir surpris au bord de l’eau ou que je fusse trahi par mon ombre. Rien. Seul un gargouillis d’eau qui volute ou des tourbillons qui s’enroulent à l’infini mus par le courant qui déboule de toute part.


Je décidai alors de tenter ma chance sur le même type de poste que la veille et choisis une grande fosse d’eau juste après un radier. Mes tentatives et une prospection soignée ne donnèrent rien mais j’apprécias grandement les circonvolutions de ma soie dans les airs qui se découpait sur le ciel. C’était devenu l’essentiel de mon plaisir de pêche. Je fixai alors ma mouche au crochet de la canne et quittai ce lieu pour rechercher un poste aux eaux moins profondes. J’essayai maladroitement de m’imaginer à la place d’un poisson en début d’hiver, plongé dans l’eau glacée, obnubilé sans le savoir par la perpétuité de son existence dans ces milieux sans pitié pour les faibles et les difformes. La sélection amènent la Nature à produire des spécimens robustes, malins, capables de gérer leur énergie au mieux et de subsister dans les pire frimas des Vosges. Quoi de mieux que de choisir une eau assez basse dans un courant modéré qui oxygène l’eau pour capter toute nourriture rare et précieuse avant l’hiver. Justement, le spot présentait un coin idéal qui correspondait parfaitement à ma déduction et je décidai de pêcher sur un plat peu profond avec la plus grande discrétion possible.


Je montai au point le plus haut de l’îlot pour observer accroupi l’endroit que j’avais choisi. J’attendis là de longues minutes quand soudain j’entre-aperçus un gros poisson sombre, puis un deuxième. Finalement j’en comptai cinq qui se dandinaient face au courant en faisant régulièrement des demi-tours, repartaient en arrière et revenaient se positionner. Pas l’ombre d’un doute si je puis dire ! C’était bien le poisson tant convoité, celui qui m’avait amené ici même pour le rencontrer : l’ombre commun des Vosges.


Je redescendis de mon point d’observation pour récupérer ma canne et me positionnai dans l’axe du courant, à une quinzaine de mètres en amont du groupe de poissons. Je décidai alors d’envoyer ma mouche avec mon bas de ligne de quatre mètres bien avant leur position. Le courant était laminaire à cet endroit et j’évitai ainsi tout risque de dragage. Ma mouche serait emportée à la surface de l’eau et serait bien la première chose que les ombres verraient. Pas de risque donc de les effrayer avec ma soie dans cette eau peu profonde.


L’opération était délicate et je n’avais pas une multitude d’essais possibles. Deux ou trois lancers tout au plus, avant que les ombres ne risquent de s’aperçoir du danger et filent se réfugier en eaux plus sûres et moins exposées. Inutiles alors d’espérer les revoir avant le crépuscule. Je déroulai une douzaine de mètres de soie qui s’éloigna, emportée dans le courant. Sans traîner je rattrapai l’ensemble de la ligne pour commencer mon lancer. La soie sortait de plus en plus et virevoltait dans un sifflement léger, je jugeais en permanence de la longueur avant de réaliser un poser en toute discrétion. Le cul de canard bien sec et légèrement graissé flottait à merveille. Avec la lueur du matin, je pouvais l’apercevoir se déplacer sur l’eau entraîné par le courant directement à l’emplacement où j’avais observé le groupe d’ombres. Il attint la zone en quelques secondes, j’observai alors une gueule sortir de l’eau et une nageoire dorsale dans un instant bref mais qui me parut long et ralenti tant il était espéré. La ligne commença à se tendre et je décidai de ferrer. Réussi ! Le poisson se mit à filer dans le sens du courant pour retrouver une cache. Je tirai la soie pour l’en empêcher et la ligne se mit à parcourir le plat dans tous les sens. Le scion de ma canne formait un arc de cercle presque parfait et oscillait sous les coups de tête de l’ombre. Je reprenais régulièrement du fil pour amener le poisson à combattre dans une eau peu profonde. Il réalisait des allers-retours de gauche à droite mais se rapprochait inéluctablement de ma position puisque je continuais à maintenir et ramener de la soie. Arrivé presque à ma portée, il repartit dans un dernier effort et je ne pus m’en emparer. Je dus attendre patiemment qu’il se fatigue davantage pour qu’il glisse finalement vaincu dans ma main que je laissais immergée pour lui éviter un surcroît de stress.





Pendu à ma ligne, avec le bout de sa gueule pointue émergée, j’observai la beauté de sa robe mouchetée de noir et sa magnifique nageoire dorsale teintée de rose et de pourpre. Hagard, il semblait me scruter, effrayé de voir sa dernière minute arriver face à un prédateur inconnu jusqu’alors. Le supplice avait assez duré. Je saisis la pince accrochée à ma poche pectorale par un tortillon de fil plastic. D’un geste précis, je saisis l’hameçon que je retirai d’un coup sec et net. Le poisson fut libéré. Incrédule, il resta presqu’immobile de longues secondes. Il se remit rapidement dans le sens du courant et s’en alla d’une nage tranquille rejoindre ses congénères.


J’avais enfin touché mon but : pêcher un ombre des Vosges. Avec plaisir, sans ressentir le besoin de le prélever mais avec la joie de le libérer dans son cadre naturel.

Je remontai alors dans mon canoë pour poursuivre ma ballade sur la Moselle qui devenait très large par endroit au point qu’elle me semblait être un petit lac. Je pêchai encore plusieurs fois durant cette journée baignée de soleil sans résultat exceptée la prise de quelques rotengles sur un spot près d’un nouvel îlot.


A 16 heures, je décidai de quitter les lieux et tirai mon embarcation sur la berge à proximité d’un chemin de terre qui filait vers la route départementale qui allait vers Mirecourt. Je passai un coup de téléphone à ma femme qui vint une heure après me récupérer. Trempé, gelé et le visage un peu hâlé, je retrouvai dans la voiture un peu de chaleur, la douceur de notre vie civilisée, la famille et le sourire complice de mon épouse.


Ce week-end resta longtemps gravé en moi tant il fut révélateur d’évidences qui ne s’imposaient pas à mon esprit et me permit de mieux comprendre mes motivations et transforma irrémédiablement mon approche de la pêche. Il développa aussi la sagesse de mon esprit. Je me résolus à abandonner depuis cette date mon esprit d’aventure inutile convaincu que mon espace personnel, famillial et professionnel était devenu suffisamment grand pour que mon esprit de conquête sur moi-même et mon environnement cesse, enfin !

 
 
 

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Depuis tout petit, je vais à la pêche. J'ai commencé à 6 ans en 1971 avec un fil de laine accroché à une canne en noisetier faite de mes mains.

 

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